Aix en Provence

RENCONTRE AVEC CLAIRE PASQUIER

À quelques jours de la première de l’opéra Orfeo & Majnun, nous retrouvons Claire Pasquier, metteuse en scène, scénographe et depuis plusieurs semaines maintenant, artiste en résidence croisée à La Monnaie de Bruxelles et au Festival d’Aix, pour échanger sur son expérience au cœur du processus de création de cet ambitieux projet participatif.  

> D’où vient votre intérêt pour les projets qui ont une dimension participative ?

J’ai fait mes premiers pas dans le théâtre au sein de la compagnie Teatro delle Albe. C’est en suivant leurs ateliers de théâtre « non scuola » (non-école) qui fait découvrir à des adolescents des textes classiques qu'ils réécrivent collectivement et incarnent sur scène choralement, qu’est née ma fascination pour le travail avec de jeunes participants.  J’ai également mené des ateliers de théâtre, d'arts plastiques et de photographie, au Brésil, au Maroc, en Italie et en France avec des écoles primaires, dans l’enseignement supérieur, dans des prisons, avec des ONG culturelles et des institutions telles que le Pôle Image et l’Institut Français.
La rencontre entre ces langages artistiques et ces activités a donné forme à mon vocabulaire scénique et m’a permis de développer un langage fondé sur la diversité des participants et leurs singularités. Les créations menées dans une démarche collective avec des participants aux parcours divers ont une richesse qui crée du lien entre un art parfois difficile d’accès et un public nouveau qui reflète notre société.  L’expérimentation de nouvelles formes et de nouveaux moyens de production permet d’offrir aux participants un regard privilégié sur l’œuvre et fait du processus un temps de médiation. La création redevient alors un acte militant.

> En novembre dernier, vous avez pris part à l’atelier de réflexion sur la création de projets participatifs au Dutch National Opera d’Amsterdam, Building participatory opera and music theatre, en quoi cela a-t-il nourri votre approche du travail avec des artistes amateurs ?

Cette semaine de réflexion nous a montré que l'on peut envisager les pratiques participatives de mille manières. Notre groupe étant constitué de jeunes artistes de corps de métier différents, nous avons écouté les projets de chacun afin d'enrichir notre conception des processus de création participatifs, parfois entendus comme participation à l'écriture dramaturgique ou à la composition, parfois comme participation à l'acte performatif à travers la collaboration, la co-création, la participation spontanée voire même involontaire. Les enjeux éthiques ont également été discutés : quel type de participants, avec quelle implication et dans quel but ? La nécessité d'un projet pédagogique partagé avec tous les acteurs impliqués s'est imposé dans ma conception des choses afin de tenter de répondre à ces enjeux. La pérennité s'est souvent révélée être le point faible des productions car le projet participatif s'inscrit souvent dans un territoire comme un événement ponctuel alors que les prolongements dans le temps doivent être prévus dès sa conception afin de ne pas mettre en danger les objectifs pédagogiques par une vision à trop court terme. Enfin, la difficulté de défendre les pratiques participatives dans les théâtres est un point que tous les participants ont souligné. Les besoins humains et matériels, les exigences de flexibilité des processus de création et l'engagement nécessaire des équipes du théâtre pour accompagner sereinement les pratiques participatives sont souvent sous-estimés. L'idée de créer un réseau de professionnels engagés dans les projets participatifs a émergé afin de soutenir ce combat difficile à mener. 

> Votre résidence vous a amené à suivre le projet "Orfeo et Majnun" à La Monnaie puis au Festival d’Aix pour la création de l’opéra le 8 juillet. Pouvez-vous nous résumer votre expérience ?

Mon expérience dans les deux maisons a été très différente. C'est d'ailleurs spécifiquement pour observer l'évolution d'Orfeo et Majnun selon les territoires dans lesquels il s'inscrit que j'ai souhaité faire cette résidence. À Bruxelles, je me suis concentrée particulièrement sur le travail avec les partenaires œuvrant à la réalisation du « parcours ». J'ai pu observer de nombreux projets dans la trentaine de propositions créées à Bruxelles, recueillir les témoignages des participants et des artistes porteurs de projet, et développer un regard transversal sur les difficultés qu'ils ont pu rencontrer et les expériences qu'ils ont vécues. J'ai aussi participé à la mise en œuvre du parcours sur la place de La Monnaie et créé des sentiers de visite thématiques faisant écho aux enjeux dramaturgiques. J'ai également pris part aux réunions d'équipe, me permettant de voir les difficultés rencontrées par les structures porteuses du projet et comment les différents services s'en emparent, et enfin, j'ai participé aux réunions sur la mise en place du processus d'évaluation du projet...
Avec Kristina Borg et Daniel Arbaczewski, les deux autres artistes en résidence à Bruxelles, nous avons également commencé à réfléchir à un outil favorisant la pérennisation des réseaux d'acteurs montés pour Orfeo et Majnun. Une vision transversale et passionnante !
À Aix, j’ai également suivi le service Passerelles dans différentes répétitions pour préparer le parcours et j’ai découvert le travail mené par les artistes-relais de l’Académie. Puis je me suis concentrée plus précisément sur l’opéra, lui aussi participatif, avec la présence de chœurs et de manipulateurs de marionnettes amateurs. L'ampleur du dispositif et l'engagement des équipes sont impressionnantes à observer. Inscrite dans le rythme d'un festival, ma résidence a été aussi l'occasion d’échanger sur les pratiques participatives avec les réseaux Reseo et enoa. Enrichi par mille rencontres avec des artistes, des répétitions d'autres productions, des master classes et des entretiens avec les équipes du festival, ce volet particulièrement bouillonnant de ma résidence est très enrichissant et complémentaire de celui bruxellois.

> Ce grand opéra participatif rassemblera professionnels et amateurs de tous âges et de tous milieux pour une vaste fresque et une grande fête. Orfeo & Majnun peut-il susciter un véritable élan là où l’unité et la cohésion sont aujourd’hui menacées ?

Absolument ! Tout d’abord, sa thématique a invité la culture orientale au cœur de la programmation du Festival et des créations des participants, entrainant le public dans cette découverte. Pour les équipes et les participants, le faire ensemble et le vivre ensemble lors de ce projet a construit des ponts entre les acteurs, permettant à tous de s'ouvrir à des cultures parfois mal connues. Par son caractère européen, le projet encourage des institutions très différentes dans sept pays à travailler ensemble. C'est aussi l'occasion de développer les réseaux de partenaires à l'échelle de chaque ville. Au delà du projet en lui-même, c'est donc l'invention de nouvelles méthodes de production et de création qui est bénéfique à la filière afin de lui permettre de se renouveler et de rester, au même titre que toutes les formes d'art, un outil de cohésion et d'unité, qui laisse de la place à la jeune génération, sur le plateau et en coulisse et reste connectée à un public large et divers. C'est un bon exemple également de la capacité de l'artiste à fédérer des institutions autours de son projet plutôt que de répondre à une commande de celles-ci et ainsi de faire évoluer le répertoire et les méthodes de programmation. On voit bien que ce type de projet a des échos multiples, bénéfiques à tous les niveaux, c'est donc à mes yeux une dynamique vertueuse qu'il faut absolument développer.

> Est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur le projet que vous développez avec Jane Dickson d’après la pièce de Laurent Gaudé, Onysos le furieux ?

Le furieux est une performance musicale participative en 6 chants. Le parcours initiatique dans lequel public et performeurs s'embarquent se nourrit de mythes pour nous plonger dans notre propre histoire individuelle et collective où l'irrévérencieux fait face à la morale, et l'étranger fait face à l’autochtone : Onysos bouleverse les hiérarchies, fédère les faibles, c'est un punk, un iconoclaste.
Ce récit s'est imposé comme une réponse à l'envie d'expérimenter collectivement la fièvre du groupe au plateau et de livrer un travail entier, sincère, primaire et collectif. Avec la même évidence, le travail de Jane Dickson, découvert lors de l’atelier Building participatory opera and music theatre s'est révélé être un univers sonore naturel pour développer Le Furieux. Avec le scénographe et performeur bruxellois Bastien Poncelet, nous créerons à 6 mains une partition qui intègre des indications sonores, dramaturgiques spatiales et visuelles. Ce canevas nourrira une écriture collective pluridisciplinaire, puisque la mise en scène de chaque chant sera confiée à un artiste souhaitant s'inscrire dans le projet avec un processus de création participatif.
Quel beau défi que de se plonger avec les institutions, les artistes et les citoyens dans ce processus de création atypique et de continuer, sur les pas d’Orfeo et Majnun, à raconter ensemble notre histoire !
 

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With the support of Fondation Bettencourt Schueller, Fonds Chœur à l'ouvrage, Fondation d'entreprise Total, The Eloise Susanna Gale Foundation

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